Synopsis
Après le très misérabiliste, mais néanmoins percutant,
Les Enfants du borinage,
Lettre à Henri Storck (inédit en France) où il revenait poser sa caméra sur les terres minières désolées de l'un des pionniers du documentaire social, Patric Jean nous offre une bombe à la fois politique et sociale :
La Raison du plus fort. Un documentaire choral sur la ségrégation sociale, dans lequel l'auteur tente de comprendre pourquoi, bien souvent, lorsqu'une usine s'éteint, s'érige une prison. A partir de cette interrogation, le réalisateur sillonne la Belgique et la France à la recherche d'images et de situations illustrant la nouvelle grande chasse aux pauvres entreprise par nos gouvernements, à la suite du délitement progressif de l'État social. Le sujet est complexe et le projet ambitieux, mais le regard militant de Patric Jean, très maîtrisé, ne s'égare jamais. Dans chacun des thèmes abordés, que ce soit la prison, l'exclusion, la banlieue ou la justice, le cinéaste laisse les images et les propos des protagonistes parler d'eux-mêmes. On sent une farouche volonté de dénoncer, mais toujours distillée avec subtilité, grâce à un montage très travaillé, où chaque plan et chaque visage devient un vecteur politique. Patric Jean est un fin tacticien. On est très loin du documentaire militant, bricolé et pamphlétaire. Ici, le fond politique est soutenu par un sens de l'image et du cadrage qui n'a rien à envier aux maîtres du genre. Le propos est parfois naïf mais jamais racoleur, et surtout porteur d'une véritable puissance politique. En effet, dans l'actuel climat d'emphase sécuritaire, entendre dire sur grand écran que la délinquance est, avant tout, une forme de révolte sociale, ou que la prison n'est qu'un instrument de gestion technocratique d'une pauvreté trop visible et revendicatrice fait figure de miracle. Ainsi, fondamentalement, avec
La Raison du plus fort, Patric Jean nous rappelle cette évidence si souvent oubliée : l'engorgement des prisons a plus à voir avec la croissance du chômage qu'avec celle de la criminalité. Un film nécessaire, donc, en ce qu'il sait stimuler la révolte. Non pas contre le délinquant du coin ou le dernier monstre médiatique, mais contre un système ségrégatif, dont chaque spectateur est, qu'il le veuille ou non, partie intégrante.
© LES FICHES DU CINEMA 2005
