Synopsis
En collant et entremêlant instantanés, bouts de films et extraits sonores amassés sur plus de vingt ans, Jonathan Caouette se raconte et nous raconte son parcours de vie. Une vie qui, rétrospectivement, du haut de ses 31 ans, prend une tournure toute à la fois psychédélique, déconstruite, jouissive, triste, drôle et, osons le mot, universelle. Un père fuyant et inexistant, une mère attentionnée mais sous l'emprise d'une psychiatrie moyenâgeuse opérant à coup d'électrochocs, Jonathan vogue de traumatisme en traumatisme, élevé dans des foyers et par ses grands-parents. Grâce au super-8 et à la vidéo, durant deux décennies Jonathan exorcise donc cette vie déliquescente en un jeu introspectif frisant l'obsession. Tout y passe, des élucubrations de sa grand-mère édentée aux délires de sa mère en passant par sa passion pour la culture gay et ses symptômes de dépersonnalisation...J. Caouette se livre sans fard ni retenue dans une exhibition susceptible de faire pâlir de jalousie n'importe quel producteur de télé-réalité. Sauf que Tarnation, produit par le très adulé Gus Van Sant ne franchit jamais la limite qui le ferait sombrer dans le piège et la facilité du voyeurisme. Ici, le racolage s'efface devant le jeu subtil de l'intime. Point de soliloque ni de nombrilisme, plutôt la douceur contagieuse et touchante du narcissisme.Mais, au-delà du simple portrait, Tarnation a le mérite d'offrir une vision de l'Amérique et du Texas en particulier, propre à bousculer les amateurs de préjugés. Non, la société pétrolifère du Texas ne se résume pas aux clichés de
Geant ou de
Dallas : ses interstices sont habités par un underground social aux antipodes des nauséabonds cow-boys bushistes. Deuxième mérite, la perspective intimiste de Tarnation se dévoile comme un violent réquisitoire antipsychiatrique montrant la barbarie feutrée à l'oeuvre dans la volonté si commune de la normalisation. Enfin, la magie de Tarnation opère car, à l'instar des premiers groupes punks, ce bricolage filmique solitaire met l'art à la portée de tous, en prouvant que la conviction et la sincérité peuvent compenser l'absence de technique et d'expérience. Il démontre donc qu'en chacun de nous sommeille un cinéaste en puissance. bon ou mauvais. Ce geste fondateur pourrait donc ouvrir une précieuse source d'énergie et de sincérité. Il se peut aussi, à l'inverse, qu'il désinhibe d'apprentis artistes n'ayant que le narcissisme sans le talent, et dont les oeuvres pourraient vite devenir encombrantes.
© LES FICHES DU CINEMA 2004