Synopsis
Nathaniel Kahn, caméra au poing, part "sur les traces de celui qui ne [lui] a légué que des questions" : son père, Louis Kahn, disparu 25 ans plus tôt. Des questions, il n'a cessé de s'en poser sur ce grand architecte américain, abonné absent au foyer adultérin qu'il tentait maladroitement d'habiter par intermittence. My Architect s'ouvre d'ailleurs sur sa question principale : comment exister sans la (re)connaissance de son père, qui laisse officiellement derrière lui sa seule épouse et leur fille ? Le fils, lui, n'existe pas. Dès lors, une aura mystérieuse enveloppe ce petit homme lunaire, noeud papillon vissé autour du cou, dont le visage brûlé apparaît sur les nombreuses archives. L'homme échappe, tout d'abord. N. Kahn se dirige donc naturellement vers ses oeuvres, pour y capter la présence de son père, essayer de comprendre, à travers son art, ce que fut la personnalité de cet homme jonglant avec plusieurs vies. Peu à peu, l'humanité de l'architecte se révèle aux yeux du réalisateur. Il prend sensiblement possession des lieux qui abritent l'âme de Louis et enfermaient par conséquent l'enfance de Nathaniel, volée au profit de l'exploit architectural. Une très jolie scène libère ainsi l'appréhension du documentariste, lorsqu'il chausse ses rollers et glisse sur la place du Salk Institute, premier authentique chef-d'oeuvre de Kahn. Le père et le fils semblent ici renouer un lien, qui ne relevait jusqu'alors que des souvenirs fantasmatiques d'un gamin idolâtrant son géniteur. La manière même dont il filme les édifices construits par Kahn devient plus libre, au plus près de la vie qu'ils recèlent. Nathaniel Kahn contourne les façades, joue avec la lumière, caresse les murs ; il épouse la vision philosophique de son père, dont il comprend finalement l'ampleur, au bout de son voyage, entre les murs du Capital Complex de Dhaka, au Bengladesh. Son père n'a pu se fixer pour lui-même un foyer, mais il a marqué à tout jamais le siège de tout un peuple. Toujours entre deux avions, entre plusieurs projets échoués, entre deux femmes, il ne savait pas dire non, il hésitait constamment, mais surtout, il ne pouvait vivre que pour les autres en général, moins pour son entourage en particulier. La découverte de Louis Kahn et de ses oeuvres nous fascine tout autant. Sans doute parce que Nathaniel respecte la complexité du personnage, l'artiste doux-rêveur-mauvais-coucheur, et nous entraîne dans son voyage initiatique avec une honnêteté rare. My Architect est tour-à-tour un documentaire brillant sur l'architecture, un récit touchant sur les "retrouvailles" d'un père et de son fils à la recherche d'une famille, et le portrait passionnant d'un grand artiste. On sort donc de ce film comme d'un grand livre : avec des images plein la tête et des émotions encore frissonnantes.
© LES FICHES DU CINEMA 2004