Synopsis
Dogora est un film atypique. Dans sa forme, d'abord : ni documentaire, ni fiction. La pellicule est imprimée de scènes de la vie quotidienne des Cambodgiens, qu'ils vivent à la campagne ou en ville, sans voix pour les accompagner. C'est-à-dire sans interview ni commentaire off, seuls la musique d'Etienne Perruchon et le choeur d'enfants bulgare occupent la bande-son et rythment les images. Atypique également dans son intention : ni récit de voyage, ni plongée historico-sociologique dans le "pays du sourire", Dogora se veut un "film émotion", un hommage à la beauté du Cambodge, une ode à la vie. Telle était l'ambition de Patrice Leconte, subjugué par les mille merveilles du territoire khmer. L'entreprise, dans son essence, est donc d'emblée intrigante. Parce qu'elle requiert un total abandon, qui sied si bien à ce pays, si l'on veut tenter de le comprendre (voire de s'en imprégner), et qui reste assez rare dans les salles obscures. Parce qu'elle fait se rencontrer le cinéma et la réalité : celle du réalisateur, découvert dans son intimité, dans la nudité de son regard, libéré des artifices du langage. La sincérité de Leconte s'exprime ainsi dans chaque plan. L'auteur redevient simple observateur et passeur d'émotions. Toute la place nécessaire est laissée à la contemplation de moments d'une vie, tour à tour insouciante, grave, drôle, difficile... La musique de Perruchon, magistrale, donne la réplique à ces images, et transcende ces moments de vie. Le choeur d'enfants, dirigé par Métodi Matakiev, accompagne chacun des mouvements et souligne le moindre geste. Ainsi, le défilé de bicyclettes devient un ballet contemporain, le trafic incessant des motos à Phnom Penh une cacophonie assommante, le retour dans son "village piloti" d'une jeune écolière, un poème d'enfance. P. Leconte libère sa caméra pour la laisser s'insinuer dans tous les recoins, son oeil à l'affût de tout événement, anodin ou exceptionnel. Elle s'arrête en compagnie des moto-taxis, dans l'attente interminable d'un client. Le temps n'a pas prise sur le Cambodge. Le temps du travail ne se compte pas, les lendemains ne se prévoient jamais, la mémoire s'estompe, enfouie dans les limbes d'un passé irrésolu, en pause sur la gloire du Roi Sihanouk. La caméra de Leconte visite également des coins plus retranchés, en périphérie de la capitale : la décharge, où habitent des familles entières dans des conditions d'hygiène déplorables, où l'alcool détruit les consciences, où la misère côtoie la mendicité. Elle filme enfin les jeux d'enfants, leurs siestes, leurs danses... Dogora nous emporte. Et pourtant, on ne s'envole pas tout à fait. Malgré certaines séquences purement grandioses (en particulier celle des danses traditionnelles) ou judicieusement représentatives, on a l'impression finalement de ne faire que passer.
© LES FICHES DU CINEMA 2004