Synopsis
En 1967, Peter Brook monte une pièce, Us, où, avec sa troupe de jeunes comédiens, il explore les questions morales ou sociétales libérées, à l’époque, par la guerre du Vietnam. Le spectacle est conçu autant comme un appel au public que comme un exutoire pour des artistes fatigués, eux aussi rongés de l’intérieur par ce conflit qui, dans ces années, divise toute la société. Presque dans la foulée, Brook monte une version cinéma de ce spectacle, qui, étant donné son recours à l’improvisation et ses liens avec le théâtre contemporain le plus expérimental, n’allait certainement pas être une fiction traditionnelle. Et, bien entendu, Tell Me Lies ne déçoit pas à cet égard. Plutôt qu’un récit, l’oeuvre propose une sorte de réflexion, multiple et fiévreuse, menée par les acteurs face à des Londoniens de tous bords (quidams, politiciens, activistes), entrecoupée de numéros musicaux sur le Vietnam, d’anecdotes liées au conflit et de quelques monologues, où les comédiens tentent de rejouer, de comprendre, les divers points de vue sur la situation. Le point de départ est simple : une photo d’un enfant mutilé frappe la conscience de l’un des acteurs. Choqué, il la présente à ses amis, puis à des inconnus. La photo va ainsi servir de fil rouge tout au long du film. Tell Me Lies est sélectionné pour Cannes 1968, où il ne sera pas projeté (cette édition ayant été interrompue). Il ira à Venise, mais ne sortira que peu en salles, jusqu’à ce que Brook décide de le restaurer et de le montrer à une nouvelle génération, confrontée à des problématiques (la guerre en Irak) assez similaires. Le film en lui-même est avant tout un document d’époque, plus encore qu’un essai sur le Vietnam. Il est typique d’une certaine veine politico-expérimentale où les recherches formelles croisent et reflètent le chaos des consciences de l’époque. Dans une tradition visiblement proche du happening (et du Living Theater de Julian Beck, par exemple), Brook mélange rencontres avec des citoyens lambda, comédie musicale, mise en abyme et scénographie de quelques moments envisagés comme symboliques. Si le cinéma est une obsession pour Brook à l’époque, Tell Me Lies reflète avant tout une tradition du théâtre politique de la fin des années 1960, qui, contemporaine de Mai 68, en donna un reflet bien plus fidèle que le cinéma. Le résultat a pour grand mérite de ne pas simplement se positionner pour ou contre la guerre (ce qui choqua alors aussi bien la Droite que la Gauche), mais de poser des questions. Les acteurs-protagonistes ne savent rien et n’ont aucune vérité simple à faire partager à un public en quête d’éclairage. Intelligemment, l’accroche du film présente Tell Me Lies comme une oeuvre sur le Londres de l’époque. Et c’est probablement ce qu’il est avant tout : un témoignage sur une époque où l’engagement, l’art et la politique se vivaient différemment. Avec peut-être une certaine naïveté (le film n’évoque pas les circonstances historiques de la guerre, ses tenants politiques ou même financiers) mais avec une sincérité et un courage (formel et moral) incontestables.
© LES FICHES DU CINEMA 2012
