Synopsis
Après avoir réalisé un premier court métrage de fiction en 1998, Mercedes Álvarez s'est recentrée sur le documentaire grâce à l'université Pompeu Fabre de Barcelone. En 2003, elle décide de retourner dans son village natal, Aldealsenor en Castille, quitté à l'âge de 3 ans, et où elle n'est revenue que l'été. Dans ce beau village austère, qui comptait plus de quatre cents âmes au début du XXe siècle, ne vivent plus que quatorze personnes âgées. M. Álvarez et son équipe s'installent au village pour capter la mémoire millénaire des lieux, qui risque de disparaître avec les derniers habitants. Au fil des saisons, de la brume, de la neige et du soleil, la réalisatrice reconstruit sous nos yeux, lentement, avec le concours de ces anciens bergers ou employés des châtelains locaux, le passé antique (situé près de l'ancienne Numance, le village garde des traces celtes et romaines, et même une empreinte de brontosaure !). Mais elle dessine aussi un futur en forme de champ d'éoliennes en cours de montage et d'hôtel de luxe en cours d'aménagement dans le curieux château mauresque, abandonné depuis des décennies, dont nul ne sait la date de construction mais dont chacun connaît les légendes qui s'y rattachent. Mis en situation dans leur cadre de vie, les villageois échangent souvenirs (l'exécution du premier Républicain de la région, la visite du Caudillo, l'abattage de l'orme multi-séculaire...) et impressions, avec une grande pertinence et un humour souvent fort réjouissant. Apparemment à l'écart du monde et de la folie des hommes, rien ne leur échappe pourtant du sens de la vie et de la mort, qu'ils commentent avec une conviction et une vivacité tempérées par une distance et une sagesse enviables. Leur analyse de l'imminente "libération" de l'Irak par G.W. Bush est à ce titre particulièrement fine et drôle. Multipliant les fondus enchaînés judicieux et les plans fixes superbes, ou insérant des photos anciennes, M. Álvarez édifie son projet avec cohérence et intelligence. Elle laisse venir avec confiance les paroles, la douce ironie et la philosophie du quotidien de ces gens qu'elle aime, qu'elle sait nous rendre familiers, et qui servent si bien son film. Antonino et José, duettistes à la philosophie ambulatoire, Silvano, l'observateur de planètes, Valentina et Crispina, ex-servantes du château, Hicham et Salah, athlète et berger marocains : tous nous deviennent proches. Le rythme est lent, certes, à l'image de la vie campagnarde, mais traduit une approche sensitive et sensuelle, semblable à celle de ce peintre quasi aveugle, qui perçoit et retranscrit les paysages à tâtons. Le film s'autorise cependant une scénarisation minimale, propice à l'émergence d'une réelle liberté mais aussi à l'aboutissement des intentions initiales. Un beau moment de cinéma.
© LES FICHES DU CINEMA 2005
