Synopsis
Dans ce documentaire, on voit surtout un homme en pleine nature, en Alaska. Il parle face à sa caméra, dans laquelle il cherche à se mirer, tel un Narcisse. Il dit l'immensité de son amour pour les grizzlys. Quand ces ours redoutables ne sont pas au centre du cadre, l'un d'eux est en arrière-plan, près de Timothy Treadwell. Plusieurs prises d'un même plan nous sont montrées. Car Treadwell recommence quand il n'est pas satisfait de sa prestation personnelle. Parfois, une autre voix, comme venue d'en haut, commente les images. C'est celle de Werner Herzog, qui a monté les rushes, retrouvés après la mort de Treadwell et de sa compagne, dévorés par des grizzlys. Encore une fois, le cinéaste allemand affirme son goût pour les expériences limites, pour les individus conduits à se dépasser par une surenchère qui, en leur échappant, les broie et en même temps les élève au-dessus de la masse des destins gris conformes aux stéréotypes de la société. Il se passionne, sur un mode romantique, pour le sujet qui s'extirpe de l'ordinaire en allant jusqu'à la dernière extrémité du scénario qui le tourmente intérieurement, et qui, de manière irrépressible, doit être mis en application sous les yeux de tous. Ce scénario, aux exigences excessives, soit le sujet se l'impose à lui-même, comme dans
Aguirre,
Fitzcarraldo et
Nosferatu, soit on le lui impose comme dans Les Nains aussi ont commencé petits et L'Énigme de Kaspar Hauser. Comme le scénario excède les limites du sujet, il engendre chez ce dernier une masse critique de violence, qui va jusqu'à l'overdose. Qu'est-ce que l'excès d'être ? Jusqu'où un être humain peut-il, en quelque sorte, se dilater pour supporter l'histoire à laquelle il se retrouve soumis ? Ces interrogations chères à Herzog forment la dynamique narrative de
Grizzly man. Herzog a aussi interviewé une compagne de Treadwell, qui tient des propos sirupeux. Ceux d'un pilote d'avion et d'un croque-mort sont anodins. Mais on reste fasciné par cette icône de la défense de la nature. Cette fascination provient de la mise en scène de Treadwell par lui-même - in situ. Car l'expérience de celui-ci a beau avoir lieu au fin fond de l'Alaska, elle est un pur produit de notre civilisation, où tout acte semble devoir systématiquement être exhibé, authentifié par des images, pour prendre sa vraie valeur. Suivez mon regard vers la télé-réalité, les nombreux journaux intimes sur Internet, etc. Sur tout cela, pas l'ombre d'un début de réflexion par Herzog. Pourquoi a-t-il fait un film avec les images tournées par un autre ? Son absence de réponse dessert le film, dont plus d'un passage pourtant donne le vertige.
© LES FICHES DU CINEMA 2005