Synopsis
Pour l'amour du peuple est une mise en image du témoignage de "monsieur B.", personnage tout à la fois mystérieux et ordinaire, ayant littéralement traîné vingt ans de sa vie dans les méandres du contrôle social est-allemand. Comme suggéré par le titre, son engagement inconditionnel dans la Stasi (police politique) est animé d'un amour profond pour la masse d'individus placée sous les auspices d'un État qui a fait sien les cauchemars hallucinés de Kafka. C'est en convaincu que monsieur B. contrôle. Il est l'exemple même de la banalité du pouvoir, lequel n'a pour raison d'être que la dynamique résistante, réelle ou simplement rêvée. Mais, dans un monde où le contrôle a définitivement remplacé la confiance, la paranoïa rend aveugle, c'est-à-dire incapable de voir que la machine s'effrite jusqu'à s'effondrer presque silencieusement. Lorsque tombe le mur, monsieur B. ne comprend pas ce désamour soudain et massif. Tant de conscience professionnelle dans la collecte d'informations, l'élaboration des dossiers et la surveillance est donc réduite à néant. C'est son être même qui se retrouve bafoué. Consciencieux jusque dans les dernières minutes précédant son licenciement, c'est encore incrédule devant son nouveau statut d'inutile que monsieur B. quitte son bureau aux couleurs verdâtres et passéistes, symptomatiques des moeurs administratives du socialisme réel. Filmé avec une tonalité toute lynchéenne, ce témoignage prend forme grâce à une multitude d'extraits de vidéo-surveillance dont l'enchaînement dénote une science du montage époustouflante. Pour Eyal Sivan, c'est d'ailleurs au montage que s'élabore réellement le scénario, période privilégiée où s'échafaudent les hypothèses qui, après un long processus d'essais / erreurs, vont finalement faire sens. Un sens qui ne prétend pas répondre mais plutôt questionner, en donnant à voir, juste à voir. Point ici de discours démagogique ou didactique, seulement une subjectivité assumée, avec comme finalité la production d'une vision singulière. Le résultat est à la hauteur des espérances. Respectant scrupuleusement la littéralité du témoignage, les cinéastes, Eyal Sivan et Audrey Maurion, évitent adroitement de tomber dans le piège de l'hermétisme pour donner réellement corps et âme à monsieur B. Aucune polémique sur l'humanisation du mal n'a ici sa place. Il s'agit plutôt d'un travail de compréhension du suivisme politique, qui, en mixant subtilement art, sociologie et politique, donne des clés essentielles pour appréhender la bêtise guidant toute idéologie sécuritaire, de gauche comme de droite.
© LES FICHES DU CINEMA 2005